DOUCHE FROIDE ! (billet d’humeur… noire) – par RM

Grosse colère à l’écoute de la conférence de Thierry Ripoll invité avec Michèle Rivasi à l’Atrium de Digne le 31 mars par EELV. Je pète les câbles. Qu’est-ce qui me prend ? Ripoll nous parle de son ton de sachant, de son ton docte de neurobiologiste (quoique non dénué d’humour) du cerveau humain. « Je connais très bien le cerveau humain ». Aïe ! Ça commence bien ! Ce que j’aurais aimé entendre ? « Ça fait 50 ans que j’étudie le cerveau humain et je ne sais pas grand chose. » À quoi reconnaît-on un scientifique ? Au doute ! Je sais que je ne sais rien ! Ceux qui affirment tout connaître sont, au mieux, des experts, au pire des bonimenteurs.

Public sous le charme, ça ricane aux traits d’humour sexiste (nous les hommes n’avons pas une aussi belle queue que les paons), aux aveux complices (moi non plus je n’arrive pas à sortir de ma douche) le cirque est bien rodé, efficace. Ça déroule sans accroc, à coup de prétendues études, mixant gaiement l’anthropologie et la théorie de l’évolution, la science du comportement, la psychologie de bas étage, à coup d’affirmations péremptoires (nous avons le même cerveau qu’il y a 20 000 ans et il n’est plus adapté à notre environnement).

La réthorique est simple. Question : Pourquoi prenons-nous une douche trop longue de trois minutes (bien que nous savons que c’est mal) ? Réponse : c’est pas de notre faute, c’est notre cerveau qui est fait comme ça, qui veut toujours plus, toujours plus de plaisir. Nous n’y arrivons pas pauvres biquets, donc il nous faut un coup de pouce, ou de coude, un nudge, un McKinsey. Et l’aveu, un peu plus tard, lors du débat, « il nous faut un gouvernement mondial ». (Silence dans la salle.)

Pour qui travaillez-vous, Monsieur Ripoll ? Pour le Forum Économique Mondial ? Pour la Macronie ? On connaît la chanson : c’est notre faute, tout va de travers, il va falloir remettre les pendules à zéro (reset) si nous voulons un monde plus juste, plus propre, plus pacifique, plus égalitaire. La résilience — ou « comment obtenir des individus qu’ils soient résistants sans opposer de résistance » selon Thierry Ribault — on commence à connaitre un peu aussi !

On connaît le refrain, mais c’est le sous-texte qui compte. Sous-texte : vous, les classes moyennes ça suffit, vous êtes trop gourmandes, vous aspirez trop à nous ressembler, à nous les riches. Sous-texte : Vous les gens du sud, vous êtes bien trop nombreux, il va falloir arrêter de vous reproduire comme des lapins, et on y veille, pour le plus grand bien de la planète. Sous-texte : vous les pauvres, vous êtes dispensable, on peut très bien se passer de vous, on a des robots, des IA et puis l’économie financière tourne toute seule. Le fric fabrique du fric et ça nous suffit… c’est à dire tant qu’on contrôle les armes pour vous empêcher à votre tour d’en fabriquer (du fric… ou des armes).

Certes, certes, ce n’est pas faux de dire que nous nous gavons comme des oies. À moins que nous n’ayons été gavés comme des oies ? À moins que nous n’ayons été dressés ? Cette soi-disant recherche frénétique du plaisir… est-ce une fatalité génétique ? Ou est-elle programmée ? Fondement du consumérisme, du capitalisme, et injonction permanente, relayée par l’école, la télé, les médias. Ce n’est pas notre cerveau qui est fait comme ça. Sinon comment expliquer que les Aborigènes (parmi des centaines d’autres peuples) aient vécu des milliers d’année sans chercher le progrès, la croissance, la nouveauté, le plaisir, sans prendre de douche… en équilibre avec leur environnement ?

Il s’agit d’une idéologie (et la pire des idéologies, celle du fric pour le fric). Il s’agit de bourrage de crâne, de manipulation, bref de nudging. Et votre discours, Monsieur le Pasteur, il nudge, lui aussi ! Nous consommons trop d’eau ? (Peut-être, et c’est vrai que rien n’est prévu, comme c’est bizarre, côté récupération.) Mais l’agro-industrie ? Mais l’industrie ? Mais les centrales nucléaires ? Mais les data-centers ? Mais la fabrique de puces électroniques à 300 litres/minute ? Mais les bouteilles en plastoc de Vitel, Evian, Volvic, etc. vendues dans le monde entier ? Mais vos golfs et piscines ?

Notre cerveau n’est pas fait comme ça et pourtant… ce n’est pas faute de dressage, de domestication, d’élimination violente des sujets récalcitrants ou des populations rebelles. Ça fait plus de 5000 ans que ça dure. Depuis les premières pierres du capitalisme mondial : esclavage, concentration du pouvoir, religion (donc terreur), propriété. Depuis ce temps nous avons du nous adapter à notre nouvelle situation ou crever. Coment ça s’appelle ? Sélection —ou eugénisme. Seuls survivent les plus aptes à obéir (et à commander puisque vous avez su créer une hiérarchie infinie de petits chefs, de chiens de garde). Et pourtant bizarrement, ça résiste. Certains animaux sont impropres à la domestication. Est-ce le cas de l’animal à grosse tête ?

Dézoomons. Le monde occidental ? Un accident minuscule dans l’histoire de l’humanité. Accident minuscule, au départ, mais accident… nucléaire. Déclenchant tout azimut des réactions en chaîne. Exterminant, laminant, détruisant TOUTES les autres cultures. Les aspirant de force dans une spirale de mort. (Un exemple ? Presque inexistant jusqu’aux années 80, le taux de suicide chez les Aborigènes s’est élevé de façon exponentielle depuis : aujourd’hui, dans les outstations, le suicide est la première cause de décès chez les jeunes de 15 à 35 ans.) Le monde occidental n’est qu’un accident minuscule, sans doute, mais son pouvoir de nuisance est quasi infini. Et c’est au nom de ce monde-là que vous prétendez diriger la planète ? Vous rigolez ?

Vous nous parlez douche, vous nous parlez gestes écologiques, vous nous parlez morale, Monsieur le Curé. Et pendant ce temps, quelle morale (bien plus sérieuse) glissez-vous discrètement sous le tapis ? Que nous sommes un pays sur-nucléarisé, au second rang mondial de la production d’armes ? SECOND RANG MONDIAL DE LA PRODUCTION D’ARMES ! J’ai l’idée que ma douche ne joue pas tout à fait le même match que Dassault. Le problème n’est pas notre cerveau, le problème c’est que notre monde est fou, le problème c’est que la caste des dirigeants est malade, le problème c’est votre pseudo-science, le problème ce sont les médias vendus aux milliardaires et qui nous bombardent de double bind, de doubles contraintes. Jouis ! Mais pas trop ! Jouis ! Mais sois coupable ! Jouis ! Mais obéis ! (Et sache bien que nous couperons le robinet quand ça nous chante, nous les puissants.)

Si le ravage du monde n’était dû qu’à ma douche, les choses seraient si simples ! S’il me suffisait de contrôler mes désirs pour stopper l’exploitation des ressources, le viol de la terre, l’esclavage, les guerres coloniales, l’obsolescence programmée, les monceaux de plastiques qui s’accumulent partout, dans les mers, dans l’eau, dans tous les organismes… quelle bonne nouvelle ! J’ai presque envie d’y croire. Dommage que ce soit un tout petit peu plus compliqué. La solution N’EST PAS un gouvernement mondial. S’il existe un tout début de solution c’est dans la direction exactement opposée. C’est d’écouter notre radical other (le sauvage, le barbare) avant de l’avoir définitivement réduit au silence. D’entendre les sagesses millénaires. Et d’abord, d’abord, de réapprendre à penser par nous mêmes, à penser JUSTE… et de flinguer quelques dragons.

Je sais… les dragons du mal sont drôlement coriaces (planqués derrière leurs armées, leurs polices, leurs grenades). Trop dangereux pour s’y attaquer frontalement (ils ont confisqué les flingues à leur profit). Nous ne sommes pas tous des héros, prêts à risquer notre vie pour défendre LA VIE. Attaquons-nous alors aux tout petits-dragons. Ceux qui permettent aux gros de prospérer. Quels tout-petits dragons ? La peur, la crédulité, l’ignorance, la résignation, et… le respect des sachants. Si nous détruisons ceux-ci, quelle chance ont les gros de survivre ?

et à propos de dragons, cf. aussi le QR code dans les calanques, de NG

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